L'administration provisoire tripartite entra en fonction quinze jours après la signature de l'accord de Madrid et commença aussitôt à préparer le transfert des pouvoirs administratifs de l'Espagne au Maroc et à la Mauritanie.
Vers la mi-janvier, toutes les troupes espagnoles avaient été évacuées vers les Canaries, laissant les grandes villes aux mains du Maroc et de la Mauritanie.
Mais un grand nombre d'installations plus petites et d'anciens avant-postes espagnols situés dans des régions isolées du pays furent occupés pendant plusieurs mois par le Front Polisario avant d'être finalement repris par les forces marocaines ou mauritaniennes, parfois à l'issue de violents combats.
Au printemps 1976, la majorité des Sahraouis avaient fui le territoire pour s'installer en Algérie dans des camps de réfugiés, dans la région de Tindouf.
Le 22 novembre 1975, une semaine après l'accord de Madrid, le roi Hassan nomma son directeur de Cabinet, Ahmed Bensouda, gouverneur adjoint du Sahara occidental pour le Maroc. Trois jours plus tard, Bensouda arriva à El-Aïioun après avoir traversé le pays, au départ de Tarfaya, avec le colonel Dlimi et une centaine de fonctionnaires marocains dans le premier convoi militaire marocain qui atteignit la capitale du Sahara occidental. Le 27 novembre, le ministre mauritanien de la Fonction publique et du Travail, Abdellahi Ould Cheikh, vint se joindre à l'administration tripartite, en tant que gouverneur adjoint de la Mauritanie, et plus tard dans la même journée, il retrouva Bensouda et le général G6mez de Salazar dans le bureau du gouverneur général pour leur première séance de travail. Cependant, des tanks espagnols continuaient à patrouiller dans les rues, et les banlieues sahraouies étaient toujours entourées de barbelés et de militaires, si bien que la population sahraouie d'El-Aïoun ne put guère manifester son mécontentement devant la tournure que prenaient les événements.
L'accord de Madrid fut tenu secret. Seule fut rendue publique une " déclaration de principes " qui stipulait que l'Espagne se retirerait du Sahara occidental vers la fin de février 1976 et qu'en attendant elle " procédera immédiatement à l'institution d'une administration intérimaire dans le territoire avec la participation du Maroc et de la Mauritanie et la collaboration de la Djemaa. " Les gouvernements marocain et mauritanien nommeraient chacun un gouverneur adjoint chargé de travailler avec le gouverneur général espagnol. On ne disait rien sur ce qui se passerait à la fin de cette période transitoire. La déclaration soulignait que " l'opinion de la population sahraouie, exprimée par la Djemaa, serait respectée " et ne faisait aucune allusion au partage.
En réalité, on n'avait nullement l'intention de respecter les vues des Sahraouis. La déclaration de principes ne mentionnerait pas l'ancien projet de référendum, auquel, bien entendu, le Maroc et la Mauritanie étaient résolument hostiles.
La Djemaa n'était pas à proprement parler un organe représentatif et était considérée par les nationalistes sahraouis, qui n'avaient jamais rien eu à voir avec elle, comme une assemblée d'éléments conservateurs collaborant avec les autorités coloniales. Elle n'avait pas été élue au suffrage universel, et même dans l'Espagne métropolitaine, il n'y avait pas eu d'élections démocratiques pendant la période franquiste.
Curieusement, juste un an auparavant, le 30 septembre 1974, Laraki avait lourdement insisté sur le caractère non-représentatif de la Djemaa, la décrivant, lors d'un discours prononcé devant l'Assemblée générale de l'O.N.U., comme " purement et simplement désignée par les autorités espagnoles " . Mais maintenant, le roi Hassan et le président Ould Daddah prévoyaient que ses membres seraient toujours aussi maléables, et qu'ils entérineraient les projets de partage, leur donnant ainsi un semblant de légitimité démocratique.
Le Front Polisario ne réussit pas à empêcher l'occupation des villes par les troupes marocaines et mauritaniennes. S'il est vrai qu'il jouissait d'un soutien populaire grandissant depuis le début de l'année 1975, seules quelques centaines d'hommes avaient été entraînés et enrôlés dans des groupes de guérilla avant octobre 1975.
Mais, presque tous les soldats sahraouis des Tropas Nomadas et de la Police territoriale, soit au total environ un millier d'hommes bien entraînés, rejoignirent les forces du Front Polisario lorsqu'ils furent renvoyés de leurs unités sur ordre du général Gomez de Salazar, fin octobre. Avec les premières recrues des unités de guérilla du Front Polisario, ces hommes formèrent le noyau de l'Armée de Libération du Peuple Sahraoui (A.L.P.S.). Ils harcelèrent les forces marocaines et mauritaniennes et leur opposèrent souvent une résistance farouche et déterminée pour défendre les points dont ils avaient jusqu'alors gardé le contrôle, mais en définitive, ils ne parvinrent pas à tenir des positions fixes contre les Marocains et les Mauritaniens, qui étaient infiniment mieux armés qu'eux et avaient en outre la maîtrise du ciel.
Toutefois, le principal souci du Front Polisario était de rassembler les milliers d'hommes désormais volontaires pour se joindre aux forces de guérilla, et d'évacuer et de défendre les réfugiés qui fuyaient les villes. En cela, ils furent considérablement aidés par le gouvernement algérien qui non seulement offrit aux guérilleros des bases, des armements et de l'entraînement, mais envoya au Sahara occidental des unités de l'armée algérienne pour transporter les réfugiés et les mettre en sécurité sur le territoire algérien.
La mainmise de la Mauritanie sur les villes et les installations du sud du territoire devait demeurer très précaire. Les soldats marocains devaient rester à Villa Cisneros et les guérilleros du Front Polisario pouvaient donc circuler librement dans l'arrière-pays désertique. Mais le plus grave pour le président Ould Daddah était que le Front Polisario pût continuer à attaquer certains points en Mauritanie même. Le poste mauritanien d'Aïn Ben Tili avait été l'objet d'une nouvelle agression à la mi-janvier, et le président Ould Daddah avait dû appeler à la rescousse les forces aériennes marocaines. C'est alors que pour la première fois dans cette guerre, l'armée de l'air marocaine perdit un avion, un Northrop F-5 de fabrication américaine, près d'Aïn Ben Tili le 21 janvier, et trois jours plus tard, le poste tomba aux mains des guérilleros.
Il ne fut reprit que le 14 février. Mais il y avait quelque chose de beaucoup plus inquiétant encore pour le président Ould Daddah : le Front Polisario commençait à frapper au coeur même de l'économie de la Mauritanie, basée sur l'exploitation du minerai de fer. La centrale électrique qui alimente les mines de fer de Zouérate avait subi des tirs de mortier le 29 décembre, et le 19 avril, un groupe de guérilleros attaqua la ligne de chemin de fer qui relie les mines de Zouérate au port de Nouadhibou. Dans les deux années qui suivirent, cette ligne de chemin de fer devint l'une des cibles favorites du Front Polisario.
Plus au nord, les guérilleros perpétrèrent régulièrement des attaques-édair contre des convois ou des positions de l'armée marocaine, bien que la plupart de leurs ressources fussent consacrées à la vaste opération d'évacuation des réfugiés. Lors d'une embuscade qu'ils tendirent à un convoi marocain qui se rendait de Hagounia à El-A:ioun, le 23 décembre, ils capturèrent deux ressortissants français, et le 24 avril, ils réussirent à lancer plusieurs tirs de mortier dans le centre d'El-Aïoun.
Par ailleurs, à la fin du mois de janvier, ils avaient mis hors de fonctionnement l'industrie minière de Bou-Craa. La bande transporteuse de Fosbucraa longue de 98,6 kilomètres et les pylônes électriques reliant la centrale électrique située sur la côte aux mines - où tout fonctionnait à l'électricité - étaient aussi vulnérables aux attaques des guérilleros que la ligne ferroviaire Zouérate-Nouadhibou.
La première attaque que le Front Polisario perpétra contre la bande transporteuse après la signature de l'accord de Madrid eut lieu le 11 décembre, et le 25 janvier, la presse espagnole fit état d'un autre raid dirigé contre une de ses stations de contrôle.
Ensuite, la bande transporteuse ne fonctionna plus pendant au moins six ans. De 1976 à 1979, de petites quantités de minerai de stockage furent transportées par camion jusqu'à la côte et exportées, mais l'exploitation fut totalement interrompue de 1976 à 1982, et en 1976, Fosbucraa annonça un déficit de 1 ;772 milliards de pesetas.