Mehdi Ben Barka (en arabe : المهدي بن بركة) (né en janvier 1920 à Rabat, Maroc - disparu le 29 octobre 1965 à Fontenay-le-Vicomte) était un homme politique marocain, principal opposant socialiste au roi Hassan II et leader du mouvement tiers-mondiste et panafricaniste. A ces dates (le 29.10.65: l'enlèvement et le 29.12.65: l'assassinat), le général de Gaulle était Président de la République, Georges Pompidou premier ministre et Roger Frey, ministre de l'Intérieur. Techniquement, il est impossible qu'aucun de ces trois hommes n'ait participé de près ou de loin à l'Assassinat de Mehdi Ben Barka, pour ceux qui soutiennent cette thèse....
Mais, curieusement, comme dans l'affaire Kennedy la presse se focalisera sur des personnages secondaires (Antoine Lopez, Louis Souchon, etc...) sans vraiment rechercher les "donneurs d'ordre (chefs de l'exécutif, ministres, hauts-fonctionnaires, etc).
L'affaire Ben Barka, restera le symbole:
- de la politique clientéliste franco-africaine (la fameuse France-Afrique symbolisée par Foccart);
- des années de plomb sous le roi Hassan II, a longtemps gelé les relations franco-marocaines.
- des dysfonctionnements graves des pouvoirs Executif, judiciaire et médiatique, tant en France qu'au Maroc.
D'une famille de petits fonctionnaires, il devient professeur de mathématiques. Il fonde, en septembre 1959, l'Union nationale des forces populaires (UNFP), principal parti de gauche opposé au régime royal. Il préside l'Assemblée consultative mise en place après l'indépendance. Le 16 novembre 1962, il échappe déjà à un attentat fomenté par les services du général Oufkir et du commandant Dlimi. Le 16 juillet 1963, après que le roi Hassan II a décrété l’état de siège, Ben Barka se réfugie en Algérie, suivi une année plus tard par sa femme et ses enfants, qui ne voulaient pas « être pris en otages ». Il dénonce ensuite la « guerre d'agression » du Maroc contre l'Algérie lorsqu'éclate la « guerre des sables » en automne 1963 et prône la solidarité avec « la révolution algérienne ». Le 22 novembre 1963, il est condamné à mort par contumace pour complot et tentative d'assassinat contre le roi.
Selon Hassan II, Mehdi Ben Barka partageait la conviction du parti unique au Maroc. Ce jugement ne peut être que tendancieux si l’on connaît la densité des rapports problématiques entre les deux hommes. Des rapports faits sur fond de collaboration, de méfiance, de malentendus, de retrouvailles, et de vengeance. Autant de termes pour souligner que ces rapports sont presque psychanalysables. Alors pourquoi vengeance ? Tout simplement parce qu’avant le « malentendu » (et c’est un euphémisme) existait une collaboration. Et passer outre cette collaboration était perçu comme une trahison, qui ne peut être expiée que par le châtiment suprême. Aussi : Ben Barka occupait entre 1957 et 1959 les fonctions de président de l’assemblée nationale après avoir été un ardent défenseur de la cause nationale (indépendance).
C’était sous Mohammed V. Si l’on connaît l’équation Hassan II/Mehdi Ben Barka dans la série des équations marocaines, on pourrait dire que celle-ci est la plus insoluble de toutes. D’abord parce que feu Ben Barka était le professeur de mathématiques de feu Hassan II. Ensuite il y avait entre les deux hommes des divergences de fond sur la manière de gérer le Maroc. Enfin les activités internationales du militant Ben Barka faisaient de lui un infatigable et gênant défenseur des causes qui ont marqué le monde du 20e siècle (cause palestinienne ; rapprochement de la Chine avec l’URSS). L’un et l’autre s’étaient nourris avidement idéologiquement de la guerre froide. L’un était au pouvoir depuis 1961 après avoir été un prince héritier redoutablement influant auprès de son père, l’autre était un éternel opposant, monarchiste en dernière instance, mais radicalement socialiste. Le génie d’organisation et de mobilisation de Ben Barka indisposait Hassan II. Ses options révolutionnaires aussi. Le militant tiers-mondiste jugeait son élève du collège royal comme un autocrate qui s’appuyait sur l’armée et les services secrets pour démembrer toute organisation structurée, et empêcher par ricochet le déroulement normal de la compétition politique. Les différentes prises de position de Ben Barka (sur la guerre des sables et sur la politique économique du monarque sans oublier la question de la présence des bases américaines au Maroc) lui ont valu plusieurs condamnations à mort par contumace.
Tout cela a altéré une relation déjà problématique. Le refus de plusieurs offres royales de participer au gouvernement (à titre individuel) de la part du militant était plus qu’un affront, une méprise. Et quiconque connaissant le royaume sait que la royauté est sacrée, et toute proposition émanant du monarque est synonyme d’ultimatum. D’affront en affront, à l’égard du roi, Ben Barka était devenu l’ennemi public numéro 1. Au contraire le roi Hassan II qui trouvait intérêt à encourager la pléthore des partis politiques de sorte à banaliser le mouvement national si en vogue alors, Ben Barka restait convaincu que seul le socialisme pourrait réformer le pays et le libérer de l’emprise féodale. Sa stature d’internationaliste faisait de lui un opposant pas comme les autres. Il a donc fallu lui tailler une riposte à sa mesure de sorte que le moindre commencement de preuve ne serait mis en évidence.
Sa capture en plein Paris, et la torture appliquée intensément par des agents du service secret marocain attestent des pratiques de toute une époque, et renseignent particulièrement sur une politique de « fer » et d’excommunication. Tout cela pourrait s’apparenter à un face à face mortel. Nul besoin de revenir ici sur les endurances d’un opposant, sur le degré de responsabilité du monarque dans la disparition de Ben Barka d’autant que la participation avérée des services français (officiels et officieux), voire de la CIA et du Mossad dans son enlèvement qui en disent long sur un complot aux ramifications internationales. Mais force est de constater que la torture alimentée par la vengeance était au cœur de l’affaire Ben Barka. Des tentatives d’assassinat au long chemin de torture jusqu’à l’incroyable dissolution de son corps dans une cuve d’acide au sinistre lieu de torture Dar El Mokri. C’est ainsi que les opposants furent traités au cours de ce que la presse marocaine appelle les années de plomb.
Rétrospectivement, l’immense popularité de Ben Barka au Maroc, et l’aura internationale de ses prises de position (question palestinienne ; présence des bases américaines au Maroc, rapprochement de la Chine avec l’ex-URSS ou Tricontinentale, le panafricanisme et le développement de l'Afrique...) lui procurent un grand pragmatisme politique comme le souligne J. Waterbury :
« Ben Barka n’était pas un homme de gauche doctrinaire et dogmatique bien que ses méthodes fussent à l’occasion progressistes, son vocabulaire typiquement marxiste et ses conceptions politiques autoritaristes. Mais il faisait preuve d’un pragmatisme remarquable pour atteindre ses objectifs. »
Le contexte politique des années 1960 au cours duquel Ben Barka prônait le socialisme dans le cadre de la monarchie pourrait le conduire, par conviction, à déclarer les réformes économiques une priorité nationale. La question du pluralisme politique serait une dimension secondaire dans cette perspective.
Chargé d'organiser la participation des mouvements révolutionnaires du tiers monde à la Conférence tricontinentale qui devait se réunir à La Havane en 1966, il est intercepté peu après son arrivée à Paris devant le 151 boulevard Saint-Germain, le 29 octobre 1965, par deux policiers français l'inspecteur principal Louis Souchon (chef du groupe des stupéfiants à la Brigade mondaine) et son adjoint Roger Voitot, qui le font monter dans une voiture où se tient également un membre de la pègre parisienne, Julien Le Ny. On ne le reverra jamais.
Cette « interpellation » est commanditée par Antoine Lopez, chef d'escale d'Air France à l'aéroport d'Orly et Honorable correspondant du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE). Elle implique également à des degrés divers trois autres personnages obscurs : Georges Boucheseiche (ancien membre de la Gestapo française sous l'Occupation, qui rallia le gang des Tractions Avant à la Libération, il fut également, dans les années 1960, un barbouze anti-OAS, puis un actif militant du Service d'action civique), proche de Jo Attia, et Jean Palisse et Pierrot Dubail, ses hommes de mains.
Lors du procès Ben Barka, Lopez fut fortement soupçonné d'avoir agi sur instructions du général Oufkir, et le 7 juin 1967, le verdict fut ainsi prononcé : les deux policiers furent condamnés à 8 ans et 6 ans de réclusion criminelle, Antoine Lopez à 8 ans.
Le général Oufkir et les quatre membres de la pègre parisienne quant à eux, réfugiés au Maroc, furent condamnés à la perpétuité par contumace, mais le roi Hassan II refusa toujours d'appliquer les condamnations ou d'extrader les condamnés. Le général Oufkir se suicidera (?) cependant quelques années plus tard après un coup d'Etat manqué contre le roi du Maroc (Gilles Perrault, Notre ami le roi).
Lors de sa conférence de presse du 21 février 1966, le général de Gaulle déclare : « Du côté français que s'est-il passé ? Rien que de vulgaire et de subalterne. Rien, absolument rien, n'indique que le contre-espionnage et la police, en tant que tels et dans leur ensemble, aient connu l'opération, a fortiori qu'ils l'aient couverte. » Cette fameuse affirmation sera contredite par les découvertes ultérieures : le SDECE (ancêtre de la DGSE) était bien au courant de l'enlèvement projeté. Dès l'enlèvement du leader tiers-mondiste, cette affirmation nette de De Gaulle est mise en doute : si le corps de Ben Barka a quitté la France, peut-on vraiment transférer un cadavre (ou un homme inconscient) par avion de Paris à Rabat, sans se faire arrêter par la police aux frontières ? En 2006, l'ex-commissaire Lucien Aimé-Blanc publie des écoutes téléphoniques de l'époque montrant que les services français surveillaient déjà tous les hommes ayant pris part à l'enlèvement.
Suite à l'enlèvement et la disparition de Mehdi Ben Barka, une enquête judiciaire est déclenchée en France. Quarante ans après, celle-ci reste toujours « pendante ». Après la tentative infructueuse du général Oufkir de coup d'État contre Hassan II, Rabat a toujours attribué à Oufkir la responsabilité ultime de l'enlèvement et du meurtre de Mehdi Ben Barka. À ce jour, la famille du leader assassiné continue à tenir pour véritable responsable le roi lui-même, ce que seule la continuation de l'enquête française pourrait prouver - ou, au contraire, réfuter.
Fin 2005, pour la troisième fois, le juge d'instruction français Patrick Ramaël se rend au Maroc afin d'enquêter sur place, mais se trouve rapidement confronté à l'absence de coopération de la part des autorités marocaines, et cela malgré la fin du règne de Hassan II, remplacé par son fils Mohammed VI.
Début décembre 2006, le journal Maroc Hebdo révèle que Hosni Benslimane, patron de la gendarmerie royale marocaine, sans répondre à la convocation du juge français Ramaël, compte répondre au juge marocain Jamal Serhane.
Rabat n'avait pas répondu à la seconde commission rogatoire délivrée en septembre 2006 pour entendre notamment et au Maroc le général Benslimane, capitaine à l'époque des faits, ou Miloud Tounsi, alias Chtouki, un agent retraité des services marocains soupçonné d'être l'un des membres du commando ayant participé à l'enlèvement de l'opposant.
En mai 2006, le magistrat français Patrick Ramaël a entendu Driss Basri, l'ex-ministre de l'Intérieur et ancien homme fort du régime d'Hassan II, et perquisitionné à son domicile parisien.
Il souhaite également effectuer des fouilles au PF3, ou bagne de Tazmamart, ancien centre de détention secret à Rabat où pourrait se trouver la tête de Mehdi Ben Barka. Faute de réponse à cette commission rogatoire internationale (CRI), Patrick Ramaël a convoqué, le 21 novembre 2006 à Paris, le général Benslimane, Tounsi et trois autres personnes. En vain.
Sa détermination préoccupe néanmoins Rabat, qui en a fait part à Nicolas Sarkozy lors de ses deux visites dans le royaume. D'autant que le juge français pourrait lancer un mandat d'arrêt international pour interroger ces « témoins ». Dans ce contexte, l'annonce d'une audition, à une date non précisée, du général Benslimane, un fidèle parmi les fidèles de la monarchie alaouite, par le juge Serhane semble surtout destinée à montrer que la justice marocaine ne reste pas les bras croisés.
Le 23 octobre 2007, le juge Patrick Ramaël a signé cinq mandats d'arrêt internationaux visant des Marocains: le général Hosni Benslimane, chef de la gendarmerie royale marocaine; Abdelkader Kadiri, ancien patron de la Direction générale des études et de la documentation (DGED, renseignements militaires); Miloud Tounsi, alias Larbi Chtouki, l'un des membres présumés du commando marocain qui a enlevé l'opposant marocain; Boubker Hassouni, infirmier et agent du Cab 1, une des unités des services marocains ultra secrète; et Abdelhak Achaachi, également agent du Cab.
L'affaire Ben Barka a inspiré deux films : L'Attentat d'Yves Boisset (1972) et J'ai vu tuer Ben Barka de Serge Le Péron (2005).